C'est pour donner à voir, sur la scène, «cette vie mystérieuse, joyeuse et superbement aboutie que l'on appelle la Mort» qu'il propose de remplacer le comédien de chair et d'os par son double artificiel, la surmarionnette, afin que l'art du théâtre commence de se rapprocher de sa splendeur originelle, perdue au jour lointain où, sur les rives du Gange, des actrices vivantes cherchèrent à imiter les figures animées des temples. Près de soixante-dix ans plus tard, dans son propre manifeste du «Théâtre de la mort», Tadeusz Kantor, entreprenant de renverser le mythe craiguien de la naissance de l'acteur, fait de ce dernier un être «habité par la mort» : «Les moyens et l'art de cet homme, l'acteur [...], se rattachaient aussi à la mort, à sa tragique et horrifique beauté.» Aussi le mannequin en compagnie duquel il fait entrer l'acteur vivant sur la scène a-t-il pour première fonction de nous rappeler que le théâtre prend sa source dans les territoires de la mort. Il est étrange que deux des plus fortes affirmations de la scène théâtrale comme espace de création artistique autonome, l'une antérieure, l'autre postérieure aux traumatismes de la première moitié du XXe siècle, associent aussi étroitement le théâtre à l'image de la mort, se hasardant toutes deux à souligner la beauté de celle-ci. Et, plus encore, que le mouvement même de cette affirmation, quand bien même elle repose sur des choix esthétiques presque antithétiques (chez Craig, l'éloge «de l'exquis et du précieux» ; chez Kantor, celui de la réalité «du rang le plus bas»), conduise l'homme de théâtre anglais aussi bien que le metteur en scène polonais à jouer sur le plateau du pouvoir de fascination des effigies : idole harmonieuse et parfaite, venue de l'Inde ou de l'Égypte anciennes pour le premier ; simulacre dégradé, terrible et presque blasphématoire, pour le second. Réunissant à Charleville-Mézières, du 15 au 17 mars 2012, chercheurs, universitaires et artistes devant un public nombreux, venu d'Europe et d'Amérique, le colloque international Surmarionnettes et mannequins : Craig, Kantor et leurs héritages contemporains organisé par l'Institut international de la marionnette, avec le soutien de l'université Paul Valéry - Montpellier 3 et de l'université d'Artois, s'est proposé de reprendre ces questions, à la lumière des recherches les plus récentes, pour interroger les rapports qu'entretiennent les artistes avec ces deux bords extrêmes des territoires de la marionnette, la Surmarionnette et le mannequin. Les textes de ce volume reprennent les interventions présentées dans le cadre du colloque, sous forme de communication, de conférence ou de table ronde, examinant depuis une variété de points de vue les poétiques scéniques de l'effigie : espaces liminaires, zones de passage où l'humain et l'inhumain, le vif et le mort, le naturel et l'artificiel se côtoient, échangeant leurs signes et brouillant leurs frontières.
L’objet-acteur de Tadeusz Kantormbalòlages, happening, pauvreté” /Tadeusz Kantor’s Object-Actor: Emballages, Happening, Poverty / Valentini, Valentina. - STAMPA. - (2013), pp. 193-211.
L’objet-acteur de Tadeusz Kantormbalòlages, happening, pauvreté” /Tadeusz Kantor’s Object-Actor: Emballages, Happening, Poverty
VALENTINI, VALENTINA
2013
Abstract
C'est pour donner à voir, sur la scène, «cette vie mystérieuse, joyeuse et superbement aboutie que l'on appelle la Mort» qu'il propose de remplacer le comédien de chair et d'os par son double artificiel, la surmarionnette, afin que l'art du théâtre commence de se rapprocher de sa splendeur originelle, perdue au jour lointain où, sur les rives du Gange, des actrices vivantes cherchèrent à imiter les figures animées des temples. Près de soixante-dix ans plus tard, dans son propre manifeste du «Théâtre de la mort», Tadeusz Kantor, entreprenant de renverser le mythe craiguien de la naissance de l'acteur, fait de ce dernier un être «habité par la mort» : «Les moyens et l'art de cet homme, l'acteur [...], se rattachaient aussi à la mort, à sa tragique et horrifique beauté.» Aussi le mannequin en compagnie duquel il fait entrer l'acteur vivant sur la scène a-t-il pour première fonction de nous rappeler que le théâtre prend sa source dans les territoires de la mort. Il est étrange que deux des plus fortes affirmations de la scène théâtrale comme espace de création artistique autonome, l'une antérieure, l'autre postérieure aux traumatismes de la première moitié du XXe siècle, associent aussi étroitement le théâtre à l'image de la mort, se hasardant toutes deux à souligner la beauté de celle-ci. Et, plus encore, que le mouvement même de cette affirmation, quand bien même elle repose sur des choix esthétiques presque antithétiques (chez Craig, l'éloge «de l'exquis et du précieux» ; chez Kantor, celui de la réalité «du rang le plus bas»), conduise l'homme de théâtre anglais aussi bien que le metteur en scène polonais à jouer sur le plateau du pouvoir de fascination des effigies : idole harmonieuse et parfaite, venue de l'Inde ou de l'Égypte anciennes pour le premier ; simulacre dégradé, terrible et presque blasphématoire, pour le second. Réunissant à Charleville-Mézières, du 15 au 17 mars 2012, chercheurs, universitaires et artistes devant un public nombreux, venu d'Europe et d'Amérique, le colloque international Surmarionnettes et mannequins : Craig, Kantor et leurs héritages contemporains organisé par l'Institut international de la marionnette, avec le soutien de l'université Paul Valéry - Montpellier 3 et de l'université d'Artois, s'est proposé de reprendre ces questions, à la lumière des recherches les plus récentes, pour interroger les rapports qu'entretiennent les artistes avec ces deux bords extrêmes des territoires de la marionnette, la Surmarionnette et le mannequin. Les textes de ce volume reprennent les interventions présentées dans le cadre du colloque, sous forme de communication, de conférence ou de table ronde, examinant depuis une variété de points de vue les poétiques scéniques de l'effigie : espaces liminaires, zones de passage où l'humain et l'inhumain, le vif et le mort, le naturel et l'artificiel se côtoient, échangeant leurs signes et brouillant leurs frontières.I documenti in IRIS sono protetti da copyright e tutti i diritti sono riservati, salvo diversa indicazione.


